
Introduction
L'écosystème de la containerisation a considérablement évolué depuis l'émergence de Docker en 2013. En 2025, les équipes DevOps disposent de plusieurs alternatives matures pour orchestrer leurs conteneurs, chacune avec ses forces et ses compromis. Docker reste le leader historique, mais Podman et containerd s'imposent progressivement dans les infrastructures d'entreprise, notamment grâce à leurs approches architecturales différenciées et leurs gains en sécurité.
Cette évolution n'est pas anodine : selon le rapport CNCF 2025, 91% des utilisateurs de Kubernetes travaillent dans des entreprises de plus de 1000 employés, et 82% prévoient d'utiliser les environnements cloud native comme plateforme principale. Le choix de la technologie de containerisation devient donc stratégique, impactant directement la sécurité, les performances et la scalabilité des infrastructures modernes.
Dans cet article comparatif, nous analyserons en profondeur Docker, Podman et containerd sous l'angle de leur architecture, de leur sécurité, de leurs performances réelles et de leurs cas d'usage en entreprise pour vous aider à faire le meilleur choix en 2025.
Architectures fondamentales : daemon vs daemonless
Docker : l'architecture client-serveur classique
Docker s'appuie sur une architecture client-serveur avec un daemon central (dockerd) qui s'exécute en permanence avec des privilèges root. Cette conception présente des avantages historiques en termes de simplicité d'utilisation, mais introduit également un point unique de défaillance (single point of failure).
Le daemon Docker gère l'ensemble du cycle de vie des conteneurs : création, démarrage, arrêt, monitoring. Toutes les requêtes passent par ce processus central, ce qui simplifie l'orchestration mais crée une surface d'attaque potentielle et un goulot d'étranglement en cas de forte charge.
# Architecture Docker classique
Client Docker CLI → Docker Daemon (dockerd) → containerd → runc → Container
Podman : l'approche daemonless et rootless
Podman (Pod Manager) adopte une philosophie radicalement différente : aucun daemon central. Chaque conteneur est lancé directement par l'utilisateur en tant que processus fils, ce qui élimine le point unique de défaillance et améliore drastiquement la sécurité.
L'innovation majeure de Podman réside dans son mode rootless par défaut : les conteneurs s'exécutent avec les privilèges de l'utilisateur qui les lance, sans nécessiter d'accès root. Le processus root à l'intérieur du conteneur est mappé vers un utilisateur non privilégié sur l'hôte, isolant efficacement les processus.
# Architecture Podman
Podman CLI → fork() → conmon → runc → Container
# Chaque conteneur est un processus fils indépendant
D'après les recherches de Red Hat, Podman accorde seulement 11 capabilities kernel aux conteneurs contre 14 pour Docker, réduisant significativement la surface d'attaque.
containerd : le runtime Kubernetes natif
containerd est le runtime de conteneurs qui alimente Kubernetes depuis la dépréciation de dockershim. Il s'agit d'un daemon léger optimisé pour la performance et la stabilité, conçu spécifiquement pour les environnements de production à grande échelle.
Contrairement à Docker qui embarque de nombreuses fonctionnalités (networking, volumes, build, etc.), containerd se concentre sur l'essentiel : gérer le cycle de vie des conteneurs avec un minimum d'overhead. C'est le choix privilégié pour les clusters Kubernetes en production.
# Architecture containerd dans Kubernetes
kubelet → CRI Plugin → containerd → runc → Container
Sécurité : comparaison des modèles de privilèges
Podman : le champion de la sécurité rootless
Le mode rootless de Podman constitue son avantage sécuritaire majeur. En permettant à des utilisateurs standards de lancer des conteneurs sans privilèges root, Podman réduit considérablement les risques d'élévation de privilèges et de compromission du système hôte.
Les bénéfices concrets en entreprise :
- Isolation multi-utilisateurs : plusieurs utilisateurs peuvent exécuter leurs conteneurs sur la même machine sans interférence
- Environnements HPC (High-Performance Computing) : déploiement de conteneurs dans des infrastructures scientifiques hautement sécurisées
- Conformité réglementaire : réponse aux exigences strictes des secteurs gouvernementaux et financiers
Podman s'intègre également nativement avec SELinux et AppArmor, offrant des couches supplémentaires de confinement des processus. Dans les environnements haute sécurité (gouvernement, défense, finance), cette combinaison rootless + SELinux fait de Podman le choix privilégié.
Docker : sécurité par configuration
Docker requiert par défaut des privilèges root pour son daemon, ce qui pose des risques de sécurité intrinsèques. Si un attaquant compromet le daemon Docker, il obtient un accès root sur l'hôte. Cependant, Docker a progressivement introduit des mécanismes de durcissement :
- Docker rootless mode (expérimental puis stable) : permet d'exécuter le daemon sans root
- User namespaces : remapping des UID/GID pour isoler les processus
- Seccomp profiles : filtrage des appels système pour limiter les capabilities
Malgré ces améliorations, l'architecture centralisée du daemon reste un single point of failure sécuritaire. Des vulnérabilités critiques ont été découvertes par le passé sur dockerd, nécessitant des patchs urgents.
containerd : sécurité par minimalisme
containerd adopte une approche de sécurité par réduction de surface : en minimisant les fonctionnalités au strict nécessaire, il limite les vecteurs d'attaque potentiels. C'est un daemon, certes, mais bien plus léger et auditable que Docker Engine.
Dans les environnements Kubernetes, containerd bénéficie des mécanismes de sécurité natifs de K8s : Pod Security Standards, Network Policies, RBAC. Sa certification CNCF graduated project garantit un haut niveau de scrutiny de la communauté open source.
Performances : benchmarks et cas d'usage réels
Temps de démarrage et consommation mémoire
Les benchmarks 2025 révèlent des différences notables selon les workloads :
Podman montre des gains de performance de 30% sur les temps de démarrage pour les grandes charges de conteneurs, grâce à l'absence de daemon. Sans processus central consommant de la RAM en permanence, Podman utilise également moins de mémoire par conteneur, un avantage notable pour les environnements edge computing ou IoT.
Docker présente des performances légèrement inférieures en startup à cause de la communication client-daemon, mais reste compétitif en runtime. Le daemon peut devenir un goulot d'étranglement sous forte charge simultanée.
containerd offre les meilleurs temps de démarrage et la plus faible empreinte mémoire des trois, ce qui explique son adoption massive dans Kubernetes. À l'échelle de centaines de pods, ces microsecondes gagnées se traduisent par des gains opérationnels significatifs.
Performances runtime : équivalence technique
Une fois les conteneurs lancés, les performances runtime sont largement équivalentes entre Docker, Podman et containerd. Pourquoi ? Parce qu'ils utilisent tous le même runtime bas niveau : runc (ou crun pour Podman).
Les différences architecturales (daemon vs daemonless) n'impactent pas les performances CPU/réseau/disque des conteneurs en production. C'est l'orchestration, le networking et le stockage qui deviennent les vrais facteurs limitants.
Performances I/O : parité atteinte
Historiquement, le mode rootless de Podman souffrait de pénalités I/O à cause des remappages UID/GID. En 2025, grâce aux améliorations kernel, les performances I/O de Podman rootless égalent celles du driver overlay natif de Docker, selon les tests de Red Hat. Ce gap de performance est désormais comblé.
Cas d'usage entreprise : qui utilise quoi en 2025 ?
Docker : toujours dominant en développement local
Docker conserve une position dominante dans les environnements de développement local grâce à :
- Docker Desktop : interface graphique intuitive pour Windows et macOS
- Écosystème mature : documentation exhaustive, Stack Overflow, tutoriels
- Docker Compose : orchestration multi-conteneurs simple et largement adoptée
Pour les équipes qui débutent avec les conteneurs ou qui privilégient la facilité d'utilisation, Docker reste le choix par défaut. Son adoption quasi-universelle garantit également la compatibilité avec la plupart des outils DevOps.
Podman : montée en puissance dans les environnements sécurisés
Podman gagne rapidement du terrain dans les secteurs réglementés et les infrastructures critiques :
- Secteur bancaire : conformité PCI-DSS avec conteneurs rootless
- Gouvernement et défense : certifications de sécurité renforcées
- HPC et recherche : déploiement multi-utilisateurs sans privilèges
Red Hat pousse activement Podman dans sa distribution RHEL (Red Hat Enterprise Linux), où il remplace progressivement Docker comme runtime par défaut. Les grandes entreprises utilisant RHEL migrent donc naturellement vers Podman.
Podman Desktop 1.23 (2025) apporte également des améliorations significatives pour Windows et macOS : intégration native, partage de fichiers accéléré, configuration managée pour les équipes IT. Cette évolution rend Podman compétitif face à Docker Desktop.
containerd : le standard Kubernetes
containerd est le runtime de facto pour Kubernetes en 2025. Les statistiques CNCF sont éloquentes :
- 87% des déploiements sont en configuration hybrid cloud
- 34% des utilisateurs travaillent dans des entreprises de plus de 20 000 employés
- 90% des équipes prévoient d'augmenter leurs workloads IA/ML sur Kubernetes
Pour les entreprises qui déploient des applications cloud native à grande échelle, containerd via Kubernetes est devenu incontournable. Les distributions Kubernetes managées (EKS, GKE, AKS) utilisent toutes containerd sous le capot.
Étude de cas : migration Docker → Podman chez Red Hat
Red Hat a migré une partie significative de ses infrastructures internes de Docker vers Podman, documentant les bénéfices :
- Réduction de 40% des incidents liés aux privilèges root
- Compatibilité : API Docker compatible, migration transparente des Dockerfiles
- Performance : démarrage plus rapide de 25% en moyenne sur leurs workloads CI/CD
Cette migration démontre la viabilité de Podman en production pour des infrastructures complexes et critiques.
Étude de cas : Kubernetes à l'échelle chez Spotify
Spotify, avec des milliers de microservices sur Kubernetes, utilise containerd comme runtime depuis 2020. Leurs ingénieurs rapportent :
- Stabilité améliorée : moins de redémarrages de runtime qu'avec Docker
- Performances : réduction de 15% de la latence de déploiement des pods
- Simplicité opérationnelle : moins de couches d'abstraction = moins de points de failure
Compatibilité et migration
Podman : drop-in replacement pour Docker
L'un des atouts majeurs de Podman est sa compatibilité CLI avec Docker. Il est possible de créer un alias alias docker=podman et utiliser les mêmes commandes :
# Commandes identiques
podman run -d nginx
podman build -t myapp .
podman-compose up
Podman supporte également les Dockerfiles sans modification et peut consommer les images du Docker Hub. Cette compatibilité facilite grandement la migration progressive sans réécrire les pipelines CI/CD.
Podman 5.0 (2025) apporte une compatibilité totale avec Docker Compose, éliminant ainsi le dernier frein à la migration pour les équipes utilisant intensivement Compose.
containerd : nécessite une couche d'abstraction
containerd n'offre pas de CLI user-friendly par défaut. Les équipes utilisent généralement :
- nerdctl : CLI compatible Docker pour containerd
- crictl : outil de debugging Kubernetes CRI
- ctr : CLI basique de containerd
Pour une utilisation directe, nerdctl est recommandé car il offre une expérience similaire à Docker tout en exploitant containerd.
Recommandations 2025 par scénario
Développement local : Docker ou Podman
Choisir Docker si :
- Votre équipe débute avec les conteneurs
- Vous privilégiez l'écosystème et la documentation
- Docker Desktop répond à vos besoins
Choisir Podman si :
- La sécurité rootless est prioritaire
- Vous utilisez Linux en natif
- Vous voulez éviter les licences Docker Desktop (entreprise)
Production Kubernetes : containerd
Pour tout déploiement Kubernetes en production, containerd est le choix recommandé :
- Runtime officiel et optimisé
- Performance et stabilité éprouvées
- Support natif des distributions managées (EKS, GKE, AKS)
Environnements sécurisés : Podman
Dans les contextes haute sécurité (gouvernement, finance, santé), Podman s'impose :
- Architecture rootless by design
- Intégration SELinux/AppArmor
- Isolation multi-utilisateurs native
CI/CD : mix stratégique
Les pipelines modernes combinent souvent plusieurs technologies :
- Build : Docker ou Podman (compatibilité Dockerfile)
- Runtime production : containerd via Kubernetes
- Tests locaux : Podman pour les développeurs, Docker pour la simplicité
Conclusion
Le paysage de la containerisation en 2025 n'est plus un monopole Docker. Podman s'affirme comme l'alternative sécurisée et performante pour les entreprises exigeantes, tandis que containerd règne sur l'écosystème Kubernetes en production.
Le choix entre ces technologies dépend fondamentalement de vos priorités :
- Facilité d'utilisation et écosystème → Docker
- Sécurité maximale et rootless → Podman
- Production Kubernetes à l'échelle → containerd
La bonne nouvelle ? Ces outils ne sont pas mutuellement exclusifs. De nombreuses organisations adoptent une approche hybride : développement avec Docker, déploiement sécurisé avec Podman, et orchestration Kubernetes avec containerd. L'interopérabilité via l'OCI (Open Container Initiative) garantit que vos images et conteneurs restent portables entre ces plateformes.
Pour 2025 et au-delà, la tendance est claire : la diversification des runtimes se poursuit, poussée par les besoins de sécurité, de performance et de conformité réglementaire. Les équipes DevOps ont tout intérêt à maîtriser ces trois technologies pour s'adapter aux exigences spécifiques de chaque environnement.
Sources et références
- Docker vs. Podman vs. Containerd vs. nerdctl: 2025 Showdown | sanj.dev
- Containers in 2025: Docker vs. Podman for Modern Developers | Linux Journal
- What 500+ Experts Revealed About Kubernetes Adoption and Workloads | CNCF
- Podman vs Docker - Complete 2025 Comparison Guide for DevOps Teams
- Podman: Guide to Rootless Container Management | mkdev
- Kubernetes Adoption Statistics and Trends for 2025 | Jeevi Academy
- Documentation officielle Podman
- Documentation officielle containerd
- Documentation officielle Docker



